Années 30 et après la seconde guerre mondiale
Les habitants de Poligny étant très nombreux, le four ne chômait pas. La première cuisson se faisait le matin, puis venait celle du début d’après-midi et celle du début de soirée. La dernière fournée commençait souvent à 9 heures du soir et finissait tard dans la nuit. Bien entendu ceux qui cuisait en dernier étaient favorisés pour la chauffe du four. Quelques simples fagots suffisaient à obtenir la température nécessaire. Ici aussi, la procession des paillasses animait les androunes.
L’intérieur du four était surnommé la « Salle de Bal ». Il y avait toujours du monde du matin au soir. En hiver, les hommes et les jeunes après avoir gouverné (soigné les vaches) se retrouvaient au chaud à discuter au milieu des miches et des panières. Ils rentraient chez eux pour manger et revenaient dans l’après-midi jusqu’à l’heure du nouveau « gouver ». Et le soir, ça recommençait. Il y avait tellement d’hommes que la moitié était dedans et l’autre dehors. Puis les places s’échangeaient au fur et à mesure que le froid les saisissait. Pas de femmes bien sûr, sinon qui aurait tenu la maison ? Les jeunes y restaient souvent jusqu’à deux heures du matin…
“Il existait bien des bistrots à Poligny… mais dans les bars, il faut consommer et ça donnait mauvaise réputation. Le four, ça coutait pas un sou et on pouvait toujours amené un litron de piquette.
Les discussions qui avaient lieu pour la plupart en patois, étaient toujours très animées. On parlait labours, récoltes, saisons, politique et on disait du mal des absents… La règle pour les jeunes était si la discussion prenait trop de vigueur, de ne jamais se battre dans le four. Si cela arrivait, ils en ressortaient sales comme des cochons et couverts de cendres et avaient des problèmes en rentrant à la maison.
Et puis un jour, on a acheté une radio à un boumia… et alors, on avait de la distraction à la maison.”
Pendant la guerre, les petits villages de paysans n’ont pas manqué de pain. Le plus dur, c’était pour la farine. Il fallait moudre à Saint-Bonnet. Et pour aller à Saint-Bonnet, il fallait passer le pont. Et on était taxé en passant. Il fallait aussi des bons à moudre.
“Une fois que tous les bons étaient passés que faire ? Je me rappelle, à l’âge de 9 ans, être parti plusieurs fois avec mon frère ainé, de nuit avec le cheval et la charrette pleine de sacs de blé, au pont du Bessagne (pont de la Guinguette) pour
éviter d’être coincé par les gendarmes afin de faire moudre notre grain en cachette.
Les marseillais qui trainaient après avoir fui leur ville, ne refusaient jamais le pain rassis qui restait.”
Dans les années 50, la « Clusse » aussi surnommé « Madré » dormait dans le four tiède. Il n’avait pas de bois pour se chauffer chez lui et préférait la douceur du four pour passer la nuit. Il dormait à même la sole du four et souvent les premiers cuiseurs le réveillaient au matin… ou les gamins qui lui jouaient des tours pendables.
Chaque famille qui utilisait le four devait participer à son entretien. Soit on donnait de l’argent, soit on participait à la corvée. Dans les années 60, l’usure de la sole du four était telle qu’il fallut la refaire. On a fait appel à Germenou de Pouillardencq pour cette tâche. Il était l’homme parfait pour travailler dans les fours à cause de sa toute petite taille.
Il a démonté la voute et changé les briques blanches carrées usées de la sole. Puis, la voute a été reconstruite mais surbaissée par facilité. D’après les dires, le four n’a jamais rechauffé comme avant.
“Ce travail était payé en nature. Pas d’argent, mais de quoi manger et boire. Et le vin coulait à flot. Les badauds étaient nombreux et profitaient du vin... à la suite de quoi, certains se pensaient ingénieurs et donnaient des conseils.”
“Nous avons arrêté de cuire en 54. Nous avions beaucoup trop de travail à cette époque et le pain nous prenait trop de temps. Et puis, on se déplaçait plus facilement, il y avait déjà quelques voitures. On amenait alors notre farine à Keto à Saint-Bonnet, rue des Maréchaux. Il nous faisait des «griches» des gros pains fendus de 50 cm de long. En plus, on pouvait lui acheter des pains au chocolat. On n’en avait pas jusque là...
Il y avait aussi des ambulants qui nous vendaient du pain et qui passaient par Poligny. C’était tellement plus facile !...
Et puis un jour, le four n’a plus cuit de pain.”
Aujourd’hui le four n’est allumé que quelques fois par an grâce aux bénévoles de l’Association Le Moutet afin de cuire des pizzas.
Maquette du four de Poligny,
réalisée pour la crèche du village.